la «harg» : un acte de desespoir ou tentative de realisation de soi

Abstract

En conclusion, nous nous proposons de revenir sur les idées clé de notre réflexion autour du phénomène d’émigration illégale des mineurs appelé communément «harga». La harga, malgré tous les risques qu’elle comporte, s’inscrit dans un phénomène global et quasi général d’émigration, vers l’Occident (surtout la France), des algériens de toutes les classes sociales. Sa particularité est qu’elle concerne une catégorie de la population, notamment les jeunes, qui souffrent de la misère à la fois économique et culturelle et de la mal vie. Elle constitue une réaction extrême d’une part au manque de perspectives dans le pays d’origine et d’autre part aux difficultés, voire à l’impossibilité d’obtenir des visas de voyage. Chez les mineurs harragas, la spécificité se situe en grande partie dans leurs rapports à l’autorité d’abord parentale ensuite étatique qui n’a plus d’effets sur eux et contre laquelle ils réagissent. En ce sens, leurs comportements peuvent être compris comme une forme de contestation de l’autorité et une révolte contre un système qui les étouffe. Le milieu familial est perturbé. Le père absent ou impuissant ne constitue plus un modèle d’identification pour ses fils. L’Etat est décrédibilisé, son autorité est contestée. Si les familles ne socialisent plus parce qu’elles n’ont ni solutions ni modèles de réussite à proposer à leurs enfants, l’école n’a plus non plus de modèles de réussite à proposer. L’exclusion scolaire précoce participe ainsi au processus de désocialisation et de marginalisation de ces jeunes. Si le phénomène est surtout masculin, c’est que la fille trouve encore une place dans l’espace intérieur habité malgré son exigüité et reste ainsi sous le contrôle familial. En outre, elle porte l’honneur familial qui pourrait être entaché au cas où elle tenterait l’aventure d’un départ non conventionnel. De son côté, le garçon est livré, très tôt à l’espace extérieur dans lequel il doit se débrouiller, s’affirmer et trouver des modèles d’identification. Dans certains milieux, la harga est devenue une subculture, un rite de passage à l’âge adulte L’expression «celui qui ne tente pas n’est pas un homme» est très répandue chez les jeunes garçons de certaines localités pourvoyeuses d’émigrants illégaux. Chez ces jeunes la perception et la mémoire semblent fonctionner de manière sélective. «Nous sommes les enfants de la mer» disent-ils comme pour minimiser les risques. En outre, ils scotomisent de leurs mémoires les cas malheureux de noyade, de mort et ne retiennent de l’aventure d’émigration que les cas de réussite qui leur permettent de vivre constamment avec ce rêve éphémère que de l’autre côté, la vie ne serait que meilleure, à l’opposé de la réalité actuelle.